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L'Assemblée nationale, une salle d'enregistrement pour l'exécutif

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La France aime donner des leçons de démocratie aux nations suspectées d'autoritarisme, de la Russie aux pays d'Afrique. Pourtant, le fonctionnement particulier de nos institutions et le rôle mimétique des médias rendent notre modèle français beaucoup moins démocratique que la plupart des pays occidentaux, Etats-Unis compris. Nous sommes les seuls en Europe à maintenir le scrutin majoritaire pour les élections législatives, nous sommes les seuls au monde à connaître un régime semi-présidentiel qui n'est pas contrebalancé par un parlement fort et indépendant. Les récentes élections législatives manifestent ce défaut de démocratie qui devrait inquiéter plutôt que réjouir les partisans EM.

Un scrutin majoritaire qui euthanasie le débat parlementaire

Avec moins de 16% des inscrits, le parti d'Emmanuel Macron raflerait plus de 70% des députés de l'Assemblée nationale, dépassant le seuil des 400 parlementaires. A quelques exceptions près, ces nouveaux députés ne doivent leur élection qu'à l'étiquette « En marche » sur leur bulletin, indépendamment de leur mérite personnel ou de leur implication dans la campagne. Ce lien ombilical de dépendance entre Emmanuel Macron et chaque député EM aura pour conséquence d'affaiblir leur vigilance critique, limitant l'intérêt d'un parlement qui enregistrera surtout les réformes promulguées par ordonnance.

Avec des groupes parlementaires réduits à la figuration, l'opposition n'aura même pas le droit au chapitre, surtout les formations éloignées du libéralisme sociétal imposé par le président. Ce défaut de démocratie trouve sa plus brutale expression dans la quasi absence de députés FN au sein du parlement, alors que ce parti est quand même arrivé au deuxième tour de la présidentielle. Quand un parti fait moins de 1% des députés après avoir atteint 35% dans une élection majeure organisée deux semaines auparavant, il y a lieu de s'interroger.

Le rôle fondamental de l'assemblée : organiser le débat politique

Comment, dans ces conditions, organiser le débat d'idées entre les différentes composantes de la nation ? L'Assemblée nationale, qui rassemble si peu la diversité nationale, ne peut nullement remplir son rôle fondamental de discussion et de surveillance de l'exécutif.

Car le rôle du parlement ne consiste pas seulement à voter des lois, un régime autocratique pourrait bien remplir cette tâche plus efficacement. Dans un système démocratique, le vote demeure la conclusion d'un débat contradictoire où les partisans de l'exécutif et de l'opposition présentent leurs arguments, sans restriction de liberté de parole. Si les trois quarts des parlementaires, plus le principal groupe d'opposition, partagent la même opinion sur l'Europe, la mondialisation et le libéralisme, aucun débat politique ne peut sérieusement s'organiser, vidant le parlement de son sens.

Une fabrique de l'abstention

L'uniformité idéologique de l'Assemblée, qui représente uniquement une bonne moitié de la France, fait logiquement fuir l'autre moitié qui se réfugie dans l'abstention. Cette moitié de réfractaires devient même majoritaire avec plus de 51% d'abstention aux dernières législatives. Comme un serpent qui se mord la queue, le scrutin majoritaire fabrique une abstention qui renforce la position hégémonique d'un seul camp.

Concrètement, la victoire écrasante d'EM a été amplifiée par l'abstention des électeurs qui se sentent marginalisés, surtout proches du Front National et dans une moindre mesure de la France insoumise.  Exclus du parlement en raison du scrutin majoritaire, ces électeurs déjà humiliés risquent de se radicaliser et de s'opposer frontalement aux réformes proposées par un exécutif qui se croit hégémonique dans l'opinion. Emmanuel Macron aura du mal à parler à ce « Front insoumis » qui ne s'identifie pas à l'optimisme élitiste, parfois proche de l'arrogance, qui caractérise les soutiens du président.    

La proportionnelle intégrale pour réconcilier les Français avec leurs représentants

Certes, Emmanuel Macron semble conscient du problème en proposant d'instaurer une dose de proportionnelle pour les prochaines élections législatives. Mais son mentor François Hollande avait déjà formulé la même promesse sans réalisation concrète. Une dose de proportionnelle limitée à 20% ne modifierait ni la position hégémonique du camp présidentiel, ni la marginalisation du FN, rendant cette mesure digne d'un coup de communication. L'expression « dose de proportionnelle », comme s'il s'agissait d'une dose de morphine potentiellement mortelle pour la république, traduit bien la réticence des élites contre un système suspecté d'introduire le peuple dans le débat parlementaire.

Seule l'instauration d'une proportionnelle intégrale, éventuellement complétée par une prime de 10% à 20 % pour le parti arrivé en tête, permettrait de réconcilier les électeurs avec le principe de représentation nationale.

Avec une dose de mauvaise foi, les ténors Républicains critiquent ce système officiellement en raison de l'instabilité parlementaire, en réalité parce qu'ils craignent la concurrence du FN et des centristes qui s'est imposée malgré eux. En réalité, il existe des mécanismes techniques qui empêchent le renversement du gouvernement tous les quatre mois. En Allemagne par exemple, les députés qui souhaitent renverser le gouvernement doivent d'abord s'accorder sur un premier ministre de substitution avant d'engager un vote de défiance, rendant très improbable cette perspective.     

Les législatives avant la présidentielle

Mais l'instauration de la proportionnelle intégrale, bien que nécessaire, ne pourra pas réduire le malentendu entre les Français et leurs représentants. Les Français aiment la verticalité du pouvoir induite par la monarchie présidentielle, mais critiquent dans le même temps l'éloignement des politiques face à leurs préoccupations réelles. Ces préoccupations ne peuvent pas toujours se résoudre par des mesures techniques, mais par une vision globale forcément déterminées par les idées politiques. Ce sont donc bien les idées politiques, et non les hommes prétendument providentiels, qui doivent inspirer la conduite de la nation.

Le choix des idées s'avère donc plus important que les choix des personnes. Les élections législatives sont bien au c?ur de la vie politique, et non l'élection présidentielle au suffrage direct. Pour rétablir cette priorité des idées sur les personnes, autrement dit pour restaurer la supériorité des législatives sur les présidentielles, il suffirait d'organiser les élections législatives un mois avant ces dernières, de sorte que le président de la République soit redevable d'une Assemblée nationale réellement représentative, source de souveraineté.  

La nécessaire réforme des institutions

Les sceptiques prétendront que la crise de la démocratie procède davantage du relativisme éthique contemporain que des limites de nos institutions. Dans le même temps, les époques évoluent et les institutions ne sont plus forcément adaptées à notre monde. Le zapping médiatique et l'instantanéité superficielle de l'information appauvrissent un débat politique qu'il convient de rétablir.

L'élection du président de la République au suffrage universel, qui était peut-être adaptée à la stature du général de Gaulle, semble désormais inappropriée face à la gravité de la situation. Les institutions doivent être profondément remaniées, dans le sens d'une simplification et d'une réorientation parlementaire. Le nouveau président Macron risque probablement de décevoir, tant il appartient à une élite très éloignée des souffrances réelles des Français, mais la destruction presque involontaire des anciens partis socialistes ou LR doit être l'occasion d'une remise en question salutaire pour la démocratie et l'avenir de la nation.

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