Progressivement les concepts républicains envahirent toute la droite, non par conversion enthousiaste mais par pragmatisme, comme lâillustre Adolphe Thiers qui adopta la République en 1871 suite à lâéchec de la restauration monarchique. Lâexhortation au ralliement à la République du pape Léon XIII et la condamnation de lâAction française achevèrent la soumission des catholiques, soit la majorité de lâélectorat conservateur, à ce nouveau système de valeurs fondé sur la primauté de lâindividu face aux conditions de naissance. Depuis le début du 20ième siècle, la disparition objective du légitimisme au sein de la droite gouvernementale confirme la transformation de la droite en un simple réceptacle dâune gauche qui donnerait les impulsions créatives dans le débat dâidées. Le discrédit des élites, prélude à une inversion de mouvement
Aujourdâhui, ce phénomène de contagion des valeurs de gauche sâobserve encore parmi les dirigeants des partis conservateurs, tels Juppé ou Junker qui promeuvent lâabolition des frontières économiques et culturelles. Toutefois, notre époque se caractérise par un discrédit des élites qui ne semblent plus comprendre les masses populaires confrontées une mondialisation agressive. Lâidéal de liberté ne fait plus recette auprès de populations touchée par la désindustrialisation, la concurrence des travailleurs détachés, le communautarisme islamique, les bandes criminelles étrangères, la disparition dâune identité millénaire au profit du chaudron angoissant du multiculturalisme. La protection devient préférable à la liberté, ce qui renverse la thèse dâune gauche imposant ses valeurs au sein dâune société perméable à lâinfini, ainsi que lâannonce le politologue Guillaume Bernard de lâInstitut catholique.
La protection devenue préférable à la liberté
Ce nouvel attachement à la protection procède plus généralement du déclin relatif de lâOccident face aux pays du sud. Impuissance démographique, grand remplacement de population, démembrement de la famille, vide abyssal du rayonnement spirituel, atonie économique, autant de déclinaisons objectives dâun affaiblissement dramatique de la civilisation occidentale qui donna au reste du monde les moyens de la surpasser. En effet, la victoire démographique et économique des pays du sud vient précisément des techniques que lâOccident inventa, comme le progrès de la médecine ou les techniques issues de la Révolution industrielle, ce qui ne peut quâaccentuer la rancÅur du prolétariat blanc que méprisent les élites converties au libéralisme.
Une destruction non créatrice
Certes, les progressistes objecteront que lâhistoire du progrès est émaillée de destructions créatrices, et que lâextinction de lâancien monde devrait déboucher sur un nouveau modèle compatible avec un niveau de vie élevé. Le problème, câest que les révolutions attendues se font attendre : nous utilisons toujours les mêmes moteurs électriques et thermiques dont lâinvention remonte à plus dâun siècle, et notre civilisation prétendument moderne repose sur des découvertes scientifiques réalisées au cours du XIXième siècle. Ni les biotechnologies, ni les nanotechnologies nâaméliorent encore drastiquement notre quotidien, la croissance « verte » semble plutôt synonyme de décroissance et le génie génétique, pourtant porteur dâespoirs rabâchés par le service marketing du Téléthon, piétine encore à un stade expérimental.
Le libéralisme incapable de « big science »
Ce fossé entre les promesses technologies entretenues par les politiques mal renseignés et leur fastidieuse diffusion dans le quotidien contribue au discrédit des élites incapables dâinventer de nouvelles sources de croissance. Mais peut-être que cette stagnation du progrès procède non pas dâun effet de seuil mais de blocages irréductibles dus à un modèle libéral qui sâessouffle. Plus précisément, les nouvelles découvertes scientifiques et techniques exigent la mobilisation de capitaux financiers et humains qui dépassent les capacités limitées des entreprises, même multinationales. Nous ne sommes plus au siècle de Maxwell dont les équations furent validées au fond dâun laboratoire, ni aux temps dâAdler dont lâaéronef fut développé avec une poignée de collaborateurs. A lâheure de la « big science », les innovations technologiques requièrent de lâargent et surtout une patience incompatible avec lâexigence de rendements immédiats. Dans le meilleur des cas, un investisseur rationnel accepte un retour sur investissement nâexcédant pas lâhorizon de ses vieux jours, soit une vingtaine dâannées pour un retraité, ce qui limite lâattractivité des projets à plus long terme. Le libéralisme économique, qui conserve toute sa pertinence pour des projets bénéficiant dâune bonne visibilité à moyen terme, sâavère tout à fait incapable de mobiliser les ressources nécessaires pour de lourds projets technologiques sâinscrivant dans la durée, ces derniers devant se multiplier à lâavenir.
La nation réhabilitée
Nous sommes donc bien dans une impasse technologique produite par la confiance excessive en la responsabilité des acteurs privés motivés par leur seul intérêt financier. Le modèle libéral fondé sur lâappât du gain doit donc être révisé, au profit dâune prise en charge accrue des investissements stratégiques par la nation. La nation éclairée au lieu de lâindividu-roi, tel est le changement de paradigme dâune société techniquement avancée.
Lâapproche progressiste fondée sur la sacralisation de lâindividu réclamant de droits toujours plus nombreux est donc dépassée. Les « Droits de lâhomme et du citoyen » ne permettant plus dâorienter efficacement le travail humain vers un progrès devenu exigeant en ressources, une nouvelle éthique du devoir sâimpose pour entamer les efforts nécessaires à la construction dâune société avancée.
Devoirs envers ses enfants dont il est nécessaire dâassurer une formation intellectuelle élevée pour préparer les métiers dâavenir, devoirs envers lâEtat qui devrait orienter lâimpôt vers la recherche scientifique et lâinnovation technologique, devoirs envers notre civilisation dont la promotion donne un sens à notre engagement publique.
Les idées nouvelles naîtront à lâextrême-droite
En résumé, notre monde occidental en crise de progrès réclame dâune part une protection accrue contre une mondialisation agressive, dâautre part un changement de paradigme replaçant la nation et non la liberté au centre des préoccupations sociétales. De toute évidence, ces valeurs ne peuvent être produites quâau sein de lâextrême droite. Bien sûr, lâextrême droite ne donnera les impulsions créatrices dans le débat dâidées quâà la condition de son assainissement idéologique. Ses propositions doivent sâaccorder avec le réel, et non plus ressasser un passé mythique qui nâa jamais existé. Par exemple elle doit professer lâamour de la nation sans exclure le principe de solidarité entre les peuples européens, revendiquer notre héritage chrétien sans verser dans lâintégrisme catholique, réaffirmer lâautorité de lâEtat sans verser dans lâautoritarisme. Ce travail est précisément entamé avec succès par Marine Le Pen qui modernise le Front national et reprend les oriflammes perdus de la nation, de la laïcité et du patriotisme économique.
Quel avenir pour la droite ?
Désormais, il faudra compter avec un Front national qui donnera le tempo dans un débat public anesthésié par le politiquement correct et la bien-pensance. Tant que lâOccident piétinera dans lâinertie économique et lâaffaiblissement démographique, les avertissements de lâextrême droite résonneront favorablement dans les oreilles du peuple. La droite « classique » aura le choix entre lâaccaparement des idées du Front national, ce qui lui permettrait de maintenir une position dominante à droite, ou de sâen distinguer, ce qui aurait pour conséquence sa gauchisation. Dans le premier cas, le Front national serait entravé dans sa marche vers le pouvoir mais verrait une partie de ses analyses reprises par un parti de gouvernement. Dans le second cas, le Front national aurait devant lui un boulevard pour devenir le principal parti dâopposition, le Parti Socialiste étant définitivement marginalisé par la concurrence dâune droite « libérale-libertaire » qui aurait ainsi repris sa position originelle à gauche de lâéchiquier politique.
Quoiquâil en soit, lâhistoire nous enseigne quâil est vain de chercher à endiguer les mouvements idéologiques dâune société en mutation. Avec souvent une génération de retard, le temps que les habitudes mentales se renouvellent naturellement, les idées nouvelles se diffusent progressivement dans le corps social, avant de conquérir le pouvoir dans un second temps. Les valeurs de la nation et la défense de notre civilisation deviendront des motifs puissants de lâengagement politique. Les partis politiques traditionnels ne pourront ignorer ce mouvement dextrogyre qui signe la fin dâun monde et lâémergence dâun nouvel horizon décidé par les peuples.
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