> Europe > Un budget pour le peuple italien
Recherche :
Les plus populaires
Newsletter
S'inscrire à la newsletter
Derniers commentaires
Auguste
Il faut effectivement (...)
Auguste
Cette affaire semble mineure (...)

Un budget pour le peuple italien

depute-italien-chaussure

La scène surréaliste d'un député italien piétinant avec sa chaussure les notes du commissaire européen Moscovici qui retoqua le budget de son pays peut surprendre, voire même choquer. Elle rappelle l'attitude de Khrouchtchev à l'ONU qui aurait tapé sur son pupitre avec sa chaussure pour protester contre la mise à l'index de l'Union soviétique. Sauf que l'oeil de Moscou semble cette fois plutôt émaner de Moscovici qui se porte garant de l'orthodoxie du Pacte budgétaire européen et qui refuse tout accommodement avec la troisième puissance économique de la zone euro.   

Le geste du député italien, qui s'inscrit dans une certaine théâtralisation de la vie politique italienne étrangère à notre culture, traduit la colère d'un peuple qui a longtemps souffert d'une politique d'austérité imposée par Bruxelles et qui demeure incapable de relancer durablement l'économie de la péninsule. Le piège serait de répondre à cette expression de colère par une condescendance appliquée brutalement aux Grecs, car l'Italie n'est pas la Grèce et son exclusion de la zone euro mettrait définitivement un terme à la construction européenne.       
 
Une règle des 3% absurde sur le plan économique
 
Du point de vue italien, la colère se justifie par la différence de traitement entre la France, qui dépassa allègrement les 3% de déficits par rapport au PIB en 2003 sans aucune rétorsion de Bruxelles, et l'Italie menacée d'une amende record si elle persiste dans son déficit de 2.4% qui demeure inférieur à celui de la France à 2.6%.

Rappelons tout de même que cette règle des 3% fut édictée sur un coin de table par deux fonctionnaires français, Rolland de Villepin et Guy Abeille, dans un contexte de fuite en avant des dépenses publiques socialistes en 1981. Ce chiffre magique, de l'aveu même de ses concepteurs, n'avait aucune justification économique mais répondait à un besoin de communication interne du gouvernement français de l'époque. Que cette norme arbitraire écrite dans un sombre bureau ministériel se soit retrouvée gravée dans le marbre du traité de Maastricht en 1992 laisse songeur quant à la dimension démocratique de la construction européenne.  

Mais pour revenir à notre époque, les origines socialistes et françaises du commissaire européen Pierre Moscovici ne facilitent pas l'adhésion spontanée des Italiens à une norme qui leur est étrangère.

Certes, le refus de la Commission européenne trouve aussi comme argument l'importance du déficit public italien, de l'ordre de 130% du PIB contre 97% pour la France. La commission reproche à l'Italie des dépenses sociales qui alourdissent structurellement le budget sans constituer un investissement pour l'avenir, en particulier l'instauration d'un revenu de citoyenneté considérée comme une forme de dividende universel.
 
Le budget est aussi à visée sociale
 
Du point de vue strictement économique, ce revenu de citoyenneté de 780 euros par mois ne répond pas directement aux besoins des entreprises italiennes, mais la vocation d'un budget n'est pas seulement économique, il doit également veiller aux équilibres sociaux ou sécuritaires que le libéralisme orthodoxe ignore superbement.
 
Le revenu de citoyenneté est clairement une mesure sociale, comparable au RSA dans notre pays. Soumis à des conditions de ressources, il n'évite malheureusement pas des effets de seuils qui constituent des trappes à inactivité. En théorie attribué en échange de la recherche d'un emploi, il sera distribué sous forme de cartes de crédits et ne pourra couvrir que des biens de consommation courante, par exemple l'alimentation, le logement ou l'énergie.
 
A l'inverse du RSA qui permet à certaines personnes d'acheter des écrans plats chinois, ce dividende universel ne devrait pas plomber les importations de biens manufacturés étrangers, mais plutôt de relancer la consommation de produits essentiellement italiens. La fraction non consommée durant le mois sera perdue pour le bénéficiaire, ce qui devrait alléger le coût réel de cette mesure pour les dépenses publiques.
 
Cette mesure sociale, pourvu qu'elle soit conditionnée par des critères assez stricts de dépenses, permet de rétablir la confiance des Italiens modestes, et donc la consommation intérieure. Cette politique keynésienne, pourtant couronnée de succès durant les Trente glorieuses, s'oppose frontalement à l'approche dominante fondée sur l'austérité.
 
L'austérité ne marche pas
 
Car l'austérité mise en oeuvre par le gouvernement Renzi fut la seule réponse européenne à la crise des dettes souveraines de 2008. Mais quels en furent ces effets ? L'appauvrissement de la population exposée à la mondialisation, l'émigration des jeunes ingénieurs vers l'Allemagne, l'étouffement de la croissance, le déclin du PIB qui n'a pas retrouvé son niveau d'avant la crise de 2008.
 
 Certes, le budget aurait pu répondre à une partie des inquiétudes des partenaires européens, en particulier la réduction de la pression fiscale sur les entreprises. Proposée par la Ligue, la flat tax de 15% sur les PME aurait favorisé les investissements des entreprises confrontées au vieillissement de leur appareil productif, mais sa temporisation ne contredit pas sa mise en application pour les années suivantes.    
 
Un budget est toujours le produit d'un arbitrage entre plusieurs préoccupations légitimes, économiques et sociales. Pour le gouvernement italien, il devenait urgent de répondre à la détresse des Italiens confrontés à la pauvreté, même au prix d'un ralentissement de la décroissance du déficit public. Le lien social et la confiance sont des conditions indispensables avant le redémarrage de la croissance, portée par une politique fiscale énergique.

Que fait l'Europe contre le riz asiatique ?

Plus généralement, les Italiens pourraient comprendre les exigences européennes si l'Europe faisait la preuve de son utilité, ce qui est loin d'être le cas vue sa gestion calamiteuse de la crise des migrants. Les peuples attendent de l'Europe protection et sécurité, et non l'abaissement des frontières extérieures face aux vents violents de la mondialisation.

Sur le plan strictement économique, que fait l'Europe face à l'importation du riz asiatique qui lamine les producteurs piémontais ? Pourquoi a-t-elle mis tant de temps à répondre à l'invasion des panneaux solaires chinois fabriqués au mépris des règles environnementales ? Pourquoi n'impose-t-elle aux frontières extérieures de l'Europe des taxes permettant de protéger ses industries face à l'agressivité de pays n'ayant pas les mêmes normes sociales et écologiques ?

Autrefois les plus europhiles, la faiblesse de l'Europe face aux menaces extérieures a remonté les Italiens contre l'Union européenne. Les Italiens, tout comme les Français, ne sont pas contre l'Europe en tant qu'espace civilisationnel partageant une même culture. Ils sont contre l'Europe passoire, soumise à la mondialisation libérale ordonnée par des élites déracinées qui veulent objectivement la disparition des peuples.
 


Commentaires (0) :